PsychologiesPhilippe Gabilliet est l’un des plus ardents défenseurs de la psychologie positive en France. Selon lui, être optimiste est un pari laïque, une vision du monde qui se cultive et s’entretient au quotidien.
Propos recueillis par Christilla Pellé-Douél, dans Psychologies Magazine de mai 2014

Psychologies : Les Français sont les champions du pessimisme. En 2011, un sondage les plaçait devant les Afghans et les Irakiens; en 2013, dans une enquête (1), ils figuraient devant les Espagnols et les Italiens. Peuvent- ils être attirés par un discours sur l’optimisme ?

Philippe Gabilliet : En France, les vieux réflexes ont la vie dure. L’intelligence s’y porte sombre ! Nous avons un mal fou avec ce qui va bien, il nous est difficile de reconnaître nos mérites et nos points forts. À l’inverse des Américains, par exemple. Eux sont dotés d’une capacité à agir incroyable. À leurs yeux, tout est possible. Pour nous, être optimiste revient à un exercice un peu déplacé d’autopromotion, alors qu’un Anglais, un Allemand ou un Nord-Américain n’aura aucun état d’âme de ce genre.

Q : Quelle est votre définition de l’optimisme ?

P.G. : L’optimisme, c’est une énergie, c’est être sûr que des solutions sont possibles et que nous sommes en mesure d’agir. Face à l’incertitude, au malheur du monde, d’abord, je vais accepter la situation puis je vais essayer de la regarder d’une façon active. S’il n’y a pas un peu d’espoir, c’est fini.

Q : Pensez-vous réellement que nous ne puissions agir sans optimisme ? Prenons l’exemple des résistants. Ils n’avaient pas vraiment de raisons d’être optimistes. Pourtant, ils ont agi…

P.G. : Mais ils étaient optimistes, ils avaient l’espérance de temps meilleurs, ils étaient convaincus que les choses allaient changer, convaincus que le nazisme ne pourrait durer. Cela allait-il prendre un an ou plus ? Mystère. Mais cela ne durerait pas. L’optimisme ne peut véritablement prendre son essor que lors de circonstances dramatiques.

Q : Optimisme et volonté ne sont-ils pas les deux faces d’une même force ?

P.G. : La volonté peut être un accélérateur de l’optimisme, à condition de pouvoir agir sur la situation. Un optimiste est une personne qui va s’appuyer sur ce dont il dispose. Il optimise ses ressources. Un enfant qui naît en France aujourd’hui a déjà plus de vingt-neuf mille euros de dette (2). En revanche, parce qu’il vit en France, son patrimoine familial moyen est d’un montant de trois cent quatre-vingt mille euros (3). Cessons donc de nous désoler : nous avons des problèmes, c’est vrai, mais des tas de choses vont bien.

Q : On peut aussi agir par désespoir…

P.G. : Je ne le crois pas. La raison fondamentale qui nous pousse à agir aujourd’hui, c’est que nous croyons qu’il y a un lendemain qui vaut la peine de le faire. Quelqu’un qui commence à avoir un doute existentiel sur la nature même du lendemain entre dans un épisode dépressif.

Q : Le questionnement existentiel est à l’origine de toute humanité : c’est la conscience. Il survient très tôt dans l’enfance…

P.G. : C’est vrai, mais les enfants ont également la capacité de s’émerveiller. Un enfant qui grandit est la preuve vivante que l’optimisme est inscrit dans nos gènes. Pourquoi ? Parce que vous ne le verrez jamais s’arrêter de tenter de marcher. En revanche, le statut du pessimiste doit, dans le même temps, être réhabilité. Pourquoi ? Parce que vous et moi sommes les descendants des pessimistes. Si nos ancêtres lointains ne l’avaient pas été, ils se seraient fait bouffer à la première occasion. Il s’agit donc aussi d’une ressource, dont nous disposons à profusion et sur laquelle nous devons nous appuyer. Mais il faut l’utiliser à bon escient. Les pessimistes intégristes n’ont qu’une vision partielle du monde, quant aux optimistes absolus, ils sont niais.

Q : Il y a profusion de livres sur ce sujet. Pourquoi ? Est-ce une mode ?

P.G. : Je crois qu’il existe un sentiment d’impuissance face au monde. À mon petit niveau, je ne peux rien contre le réchauffement climatique ni la crise mondiale. Parallèlement à cela, le niveau d’éducation monte. Si nous pariions là-dessus ? Finalement, l’optimisme est un pari laïque, idée apparue au XVIII e siècle, avec les Lumières. L’homme possède la capacité d’optimiser, de faire grandir ce qui lui est donné. Une espérance sans Dieu peut donc exister. Oui, il y a des drames, oui, le chômage augmente, mais il y a aussi des gens qui bougent, qui créent des entreprises, qui se lancent et qui s’en sortent !

Q : Ce goût pour la psychologie positive, n’a-t-il pas pris racine dans une société de plus en plus individualiste ?

P.G. : Bien sûr. Le bien-être, le positif prospèrent dans une société en recherche individuelle. C’est certain. La partie de la société qui tire vers l’optimisme, ce sont les lecteurs de Psychologies ! Et alors ? Alors, si nous ne sommes pas optimistes, peut-être que la solution serait de commencer par faire semblant ! L’appétit vient en mangeant et l’optimisme en optimisant… Ou, de façon plus « pascalienne », faites semblant de positiver et vous positiverez naturellement !

Q : Vous accordez une valeur morale à l’optimisme…

P.G. : Ah oui ! Voltaire, ou peut-être Marie Curie – les spécialistes ne sont pas d’accord – disait : « Il est poli d’être gai. » J’ajouterais : « Il est moral d’être optimiste. » On le doit aux autres. Et puis, l’optimisme peut se muscler, il s’entretient, comme le corps. Habituons-nous à observer l’ensemble des situations du point de vue de leur force. Regardons et communiquons sous l’angle de « ça va bien ». Depuis la nuit des temps, nous avons trouvé des solutions imparfaites et temporaires, condamnées à l’obsolescence. Mais cela marche ! Donc, vive l’imperfection et l’énergie pour s’améliorer !

Q : Une posture optimiste au travail rejaillit-elle sur notre vie privée ?

P.G. : Oui ! Il y a une porosité entre les niveaux. Si vous travaillez quotidiennement à chercher des solutions, je ne vois pas comment cela ne pourrait pas avoir de conséquences dans votre vie. Mieux vaut avoir vécu une vie intense que de rechercher le bonheur permanent. Cette quête est sans cesse menacée par le malheur, alors que la quête de l’intensité n’est menacée que par l’ennui et la routine.

1. Sondage BVA 2011, enquête Ipsos-CG1 2013.
2. Montant de la dette publique par habitant pour le deuxième trimestre 2013 (Insee, septembre 2013).
3. Source: Insee 2013.

Philippe Gabilliet est professeur de psychologie à ESCP Europe (Paris). Auteur de « Éloge de l’optimisme » (Saint-Simon, 2010), il participera, pendant le Printemps de l’Optimisme, au débat « Pourquoi et comment mobiliser nos énergies positives en période de crise ? », le vendredi 16 mai de 14h30 à 16h30.
Ce même soir, il animera le Dîner des Optimistes à Paris, en compagnie de Florence Servan-Schreiber (voir plus bas).

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Dîners des Optimistes pour le Printemps de l’Optimisme

Près de 30 Dîners des Optimistes, avec des animations positives, conférences, concerts, échanges, sont programmés dans toute la France la semaine du 16 mai : à Paris (avec Florence Servan-Schreiber), Saint Germain en Laye, Vincennes, Amiens, Lille, Valenciennes, Metz, Strasbourg, Annecy, Lyon, Valence, Nice, Saint Raphael, Marseille, Aix en Provence, Avignon, Montpellier, Toulouse, Biarritz, Bordeaux, La Rochelle, Nantes, Rennes, Quimper, Lorient, Lillebonne (près du Havre), Tours, Orléans, Limoges…

Les programmes de tous les Dîners des Optimistes sont sous l’onglet « Diners des Optimistes » sur le site LigueDesOptimistes.fr. Pour y accéder directement, CLIQUEZ ICI

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