Figaro2-1-15Refusant de céder à la sinistrose ambiante, les grands témoins réunis par le Figaro voient la vie, chacun à leur manière, de façon délibérément positive.
Leur chef de file ? Jean d’Ormesson évidemment ! Avec la sagesse de son âge et un enthousiasme déjeune homme, l’écrivain du bonheur démontre que l’on peut être à la fois lucide et heureux.

Jean d’Ormesson : « Les Français ont des ressources formidables« 
– Un sondage récent fait de vous l’écrivain qui incarne le mieux l’optimisme aux yeux des Français. Ce costume d’« écrivain du bonheur » est-il diffi-cile à porter ?
– Jean d’Ormesson : Oui. C’est un excès d’honneur. Je sais très bien que le monde est sinistre, qu’il y a le chômage, le terrorisme, le cancer… Tout ça n’est pas gai et il faut vraiment l’optimisme chevillé au corps pour être heureux malgré tout.

– Qu’est-ce qui est de nature à vous rendre optimiste dans la France d’aujourd’hui ?
– Ce n’est pas une question facile ! Vous savez que les Français, selon une étude internationale, sont plus pessimistes que les Afghans et les Irakiens, ce qui est un peu paradoxal quand on voit ce qui se passe dans ces malheureux pays. Bien sûr, il y a aussi des gens malheureux en France, mais plutôt moins qu’ailleurs. Nous vivons quand même dans un pays libre. Et puis, nous sommes en sécurité dans la rue, même s’il ne faut pas le dire trop vite.

– D’autres motifs d’optimisme ?
– Les Français ont des ressources formidables, on a eu deux prix Nobel cette année et il faut s’en réjouir. Il y a aussi les institutions de la Ve République, qui maintiennent la paix civile.

– Vous pensez que le pessimisme des Français n’est que passager ?
– Je n’en suis pas sûr. Le monde entier est peut-être entré dans une période d’inquiétude. Elle est plus forte chez nous qu’ailleurs. En Asie ou en Afrique, les gens peuvent encore être certains que leurs enfants vivront mieux qu’eux, mais ici ? Pendant des siècles, le monde n’a pas bougé, ou très peu. Evidemment, il y avait des changements, l’invention du feu, de la roue, de l’écriture, de l’imprimerie… mais ça allait très lentement. Depuis cent cinquante ans tout a changé en même temps : la science, c’est un lieu commun, mais aussi la religion, la société. Pendant des millénaires, on n’était ni optimiste ni pessimiste parce que les choses ne changeaient pas. Demain était semblable à hier. Et puis arrivent la découverte de l’Amérique et de l’imprimerie, le XVIe siècle, les Lumières et l’explosion du XIXe siècle. C’est Victor Hugo qui en a le mieux parlé avec son grand mot : l’aurore. L’optimisme, c’est Hugo, qui pense que demain sera meilleur qu’aujourd’hui. Je suis de ceux qui croient qu’il y a une forme de progrès. Ne serait-ce que parce que nous vivons plus vieux. La médecine a fait des progrès formidables, il y a trente ans, quelqu’un comme moi serait mort !

– Vous êtes un homme de droite qui croit au progrès ?
– Je crois à l’égalité des gens, je crois aussi à une forme de progrès. La science présente beaucoup de danger, mais il faut lutter contre ces dangers non pas par moins de science mais par davantage de science, une science qui puisse aussi créer sa propre éthique. A la fin du XIXe, il y avait deux grands savants, l’un français l’autre anglais, Marcellin Berthelot et Lord Kelvin, qui disaient : « la science a maintenant tout trouvé, nous connaissons le monde, nous ne ferons plus de grande découverte. » Et quinze ans plus tard arrivent Einstein et la relativité, Hubble, l’expansion de l’Univers, la mécanique quantique… Parler de l’avenir c’est vraiment difficile.

– Finalement, vous avez peut-être plus d’inclination au bonheur qu’à l’optimisme. Comme s’il fallait être heureux malgré l’époque et non pas à cause d’elle ?
– Je crois que si je passe pour l’écrivain du bonheur, c’est parce que je pense qu’il faut être heureux en dépit de tout le reste. Evidemment que tout va toujours mal, mais cela a toujours été ainsi et nous n’y pouvons pas grand-chose. Je veux bien faire partie du club des optimistes qui disent : « Soyez heureux quand ça va mal. »

Boris Cyrulnik* : « Retrouver l’optimisme de l’après-guerre« 
L’optimisme est une force parce qu’il fait aller de l’avant. Les optimistes entreprennent, lancent des idées nouvelles, fondent des institutions…
Mais on ne va pas de l’avant n’importe comment. C’est pourquoi le pessimisme est aussi nécessaire pour se protéger. Les progrès humains naissent de la fusion des deux ressentis.
Il faut comprendre que le pessimisme ou l’optimisme n’ont rien à voir avec la réalité. Ils sont fonction de la représentation que l’on se fait du réel.
Il faut distinguer le réel, qui est plutôt agréable en France aujourd’hui à comparer avec bien d’autres pays, et la représentation du réel qui se traduit par des récits de tristesse et d’abattements.
Je suis optimiste parce que je pense que l’on court à la catastrophe. L’évolution naturelle et culturelle ne se fait que grâce aux catastrophes. Nous serons alors contraints de tout repenser, de reconstruire des projets d’existence, de créer de nouvelles solidarités et de retrouver l’optimisme des années d’après-guerre.

*Psychiatre et psychanalyste. Dernier livre paru : Les âmes blessées, Odile Jacob, 2014

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