Christophe-AndreDe son ami Matthieu Ricard il a la gentillesse non feinte et le goût pour la méditation. Christophe André, c’est un peu le « sage » de la psy française, l’apôtre de la thérapie comportementale aux résultats concrets. Dans un pays qui ne jure que par le bonheur mais ne cause que du malheur, les préceptes de ce psychiatre parisien éclairent notre ciel de sinistrose. Grand défenseur de la thérapie comportementale, Christophe André publie « Et n’oublie pas d’être heureux ». Il détaille pour L’Express les principes simples de la psychologie positive.

Depuis Saint-Just, l’idée du bonheur n’est plus vraiment une idée neuve, mais c’est devenu une idée fixe. Comment l’expliquez-vous? 

Ce qu’ont apporté les révolutions française et américaine, c’est l’idée que tout humain a droit au bonheur. Dans le préambule de la déclaration d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique, les trois droits fondamentaux évoqués sont les droits à la vie, à la liberté et à la poursuite du bonheur. Ce dernier devient ainsi une aspiration à laquelle chacun peut prétendre. Mais, dès l’instant où tout le monde y a droit, les élites trouvent le bonheur moins noble, et se mettent à traiter de nigaud celui qui en parle.

L’autre nouveauté est que, depuis quinze ans, nous disposons de plus en plus d’études prouvant que le bonheur est bon pour la santé. Nos deux grandes obsessions contemporaines, le bonheur et la santé, se trouvent donc réunies !

Quand on entend « psychologie positive », on pense à la méthode Coué, ou au slogan exaspérant des publicités – « Positivez ! » En quoi est-elle plus subtile?

Emile Coué avait compris qu’une idée ressassée dans notre cerveau finit par avoir une influence profonde sur l’image que l’on a de soi. Mais sa méthode – se répéter des phrases positives – était un peu simpliste, même si elle marche pour partie. La psychologie positive regroupe un ensemble de techniques plus variées et plus fines, qui ont fait l’objet d’études précises. Le grand problème est que beaucoup de gens ont du mal à comprendre que des principes très simples peuvent être très efficaces.

La clef, dites-vous, réside dans la répétition, l’effort et l’association des exercices.

Je prends souvent le modèle de la corde, composée de tout un tas de petits brins. Chaque brin, individuellement, est beaucoup trop léger pour soulever le poids de nos difficultés, mais tous les brins tissés ensemble deviennent très puissants. Un exemple : tous les soirs, pendant quinze jours, je vais prendre le temps de repenser à trois choses agréables qui me sont arrivées dans la journée, en respirant, en revoyant la scène, longuement. Après deux semaines, il se passera quelque chose en moi de bien plus fort que ce que je pouvais imaginer.

Par quel mécanisme ?

Les émotions négatives resserrent notre champ d’attention, puisque leur fonction évolutive consiste à nous focaliser sur les problèmes pour nous aider à les surmonter. À l’inverse, les émotions positives ont pour fonction évolutive de nous aider à trouver des ressources, elles ouvrent la focale attentionnelle en nous rendant capables de mieux regarder autour de nous et de trouver un sens à ce que nous vivons.

Vivre l’instant en pleine conscience, admirer, remercier, chasser le ressentiment… N’est-ce pas l’enseignement des sagesses anciennes et des religions depuis plus de deux mille ans ?

Vous avez raison ! Lorsque j’aborde le thème de la psychologie positive, d’ailleurs, je dis souvent que je vais évoquer de grandes platitudes. Mais l’important n’est pas : « Est-ce que je le sais ? » La grande question est : « Est-ce que je le fais ? »
Le défi de la psychologie positive ne consiste pas tant à expliquer les exercices que de motiver à les faire. Sans attendre de se trouver dans le bon état d’esprit ou espérer des résultats immédiats.
Lorsque l’on n’a pas de bonnes raisons de pleurer, on doit s’efforcer de sourire, nous dit la psychologie positive. Elle est un acte d’hygiène, comme se brosser les dents. Voilà pourquoi elle n’est pas forcément séduisante sur le plan intellectuel.

Quel est le but de la psychologie positive ? Nous rendre heureux ?

Disons, un peu plus heureux, en évitant d’être inutilement malheureux. En théorie, la psychologie positive se concentre plus sur le développement de nos qualités et de notre bien-être, mais elle ouvre aussi beaucoup les yeux sur le rapport entre bonheur et malheur, étroitement liés. « Le bonheur n’est pas le but, mais le moyen de la vie », disait Paul Claudel. On ne vit pas pour être heureux ; en revanche, on vit grâce au bonheur. Si nous n’avions pas la possibilité de savourer des moments agréables et apaisants, tout en nous disant qu’une fois passés ils pourront se reproduire, nous ne supporterions pas cette vie d’animaux mortels.

« Tout commence par l’acceptation, écrivez-vous. Dire oui à la vie, dire oui aux soucis. » Mais comment faire dans une société qui pousse à se protéger de tout : des intempéries, des rides, des aléas de la vie ? 

Le thérapeute, comme le philosophe, est là pour rappeler que toute existence comporte une part d’adversité et que chacun d’entre nous y sera confronté, un jour ou l’autre. S’il est important de se protéger, et d’essayer d’être heureux le plus souvent possible, il faut le faire dans un esprit réaliste. André Comte-Sponville définit bien ce que pourrait être l’idéal de la psychologie positive : « La sagesse, c’est le maximum de bonheur dans le maximum de lucidité. »

Conclure un livre grand public traitant du bonheur par une réflexion sur sa propre mort, comme c’est le cas dans votre dernier ouvrage, est peu banal. Pourquoi ce choix ?

Sans cette conclusion, le livre n’a pas de sens ! La façon la plus efficace d’accepter l’idée de la mort, c’est de rendre notre existence aussi dense que possible en étant nous-mêmes aussi présents que possible à ce que nous vivons. C’est l’essence même du carpe diem. La phénoménologie du bonheur, qui s’intéresse à la façon dont l’être humain le vit intérieurement, montre cela très bien : dans les moments heureux, la seule chose qui compte est ce qui est là, maintenant. Lorsque l’on est dans le présent, on est, d’une certaine façon, dans l’éternité.

« Et n’oublie pas d’être heureux », par Christophe André. Odile Jacob, 400p., 23,90 €.

Propos recueillis par Claire Chartier, publié le 23/01/2014 sur L’Express.
Lire l’article complet : http://www.lexpress.fr/actualite/societe/christophe-andre-trouver-un-sens-a-ce-que-nous-vivons_1316400.html

Et vous, qu’en pensez-vous ?
Savez-vous cultiver votre propre psychologie positive ?
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